Pour aller plus loin #6 : Les vrais commencements

“Il n’est pas d’amour plus grand que de donner sa vie…”

Donner sa vie… mourir de mort violente,
celle du Juste mis au rang des assassins.
Personne n’est à l’abri des coups.

Donner sa vie, un bien grand mot
pour l’étroitesse de nos vies…
Et pourtant : ce peut être aussi tisser une trame
très humble et très banale
au plus près d’un quotidien
sans miracle et sans mirage.

Accepter de mourir à des idées, à des principes
qui avaient pris corps et visage de l’Absolu.

Accepter que d’autres
-et parmi les plus proches-
pensent, éprouvent et vivent autrement que nous,
sans les juger, ni les condamner,
ni se détourner d’eux.

Accepter la lutte et cet affrontement loyal
de l’intelligence et du cœur
dont chacun sort grandi, même s’il en sort blessé.
Abandonner l’idée idéale qu’on se faisait
de l’ami ou du partenaire les plus proches
et qui pesait sur eux comme une insupportable contrainte.

Se méfier de l’affection trop laissée à elle-même,
prompte aux illusions bénisseuses, aux chantages, aux marchandages.

Laisser à l’autre un espace de croissance
et de respiration.
Faire justice de l’impossible transparence :
renoncer à se “fondre”,
car personne n’est soluble dans personne.
Consentir au temps,
seule vraie mesure de toute croissance :
Ouvre-t-on un bouton de rose en tirant sur les pétales ?
Que vaudrait un amour
auquel on serait contraint ?
Et que vaut une conduite,
quand le cœur n’y est pas ?

Accepter de mourir aussi à l’idée, à l’image qu’on s’est faite de Dieu :
il sera toujours le “différent”, le TOUT-AUTRE.
Se laisser trouver par lui
dans la banalité et la surprise
des jours, des heures
et des pas toujours recommencés.

Donner sa vie prend les allures d’une folie :
c’est faire confiance.
Croire aux initiatives, à leurs erreurs
à leurs lenteurs.
Croire aux épreuves, croire aux échecs,
sans les faire payer à ceux qui en sont victimes,
à ceux qui en sont coupables.
Croire sans preuves,
mais pas sans discernement
et encore moins sans déchirement.

Donner sa vie, c’est être libre,
refuser de vivre peureusement:
n’avoir plus “peur de tout” ;
n’avoir plus peur du temps qui use et qui efface,
du temps fragile – et lourd de promesse –
comme toute chair vivante;
n’avoir plus peur du visage changeant des hommes.

Donner sa vie, c’est ESPÉRER, envers et contre tout,
envers et contre tous,
envers et contre soi-même aussi…
Donner à chacun sa chance, sans naïveté,
mais aussi sans méfiance.
Donner sa vie, c’est se laisser habiter, envahir
par autant de visages que sont des frères à aimer.

Donner sa vie, c’est laisser la vie passer
A TRAVERS NOUS,
dans un élan qui nous dépasse
parce qu’elle vient d’une source
qui est très en amont de nous-mêmes
et qu’elle se perd dans un océan
beaucoup plus vaste que nos cœurs.

Oui, c’est bien là
que sont les vrais commencements
et de nous et de tout.

Paul BEAUDIQUEY, Pleins signes, Cerf, 1988, pp.164-167

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