Pour continuer la comptemplation :

En se faisant petit enfant, l’Eternel est devenu temps.
Il ne regarde plus la terre de haut, de son éternité immuable, il la regarde désormais du dedans. En se faisant homme, Dieu s’est impliqué. En venant dans le monde, il a fait du monde un élément de lui-même. Dieu ne se contente plus de jeter un regard sur le cours des choses d’ici-bas, le voilà impliqué lui-même dans leur trame et affecté tout comme nous par sa propre création, tant il partage notre destin, connaît nos joies et éprouve nos misères.

Nous n’avons plus à le chercher dans les profondeurs infinies du ciel, cette immensité sans repères où notre esprit et notre cœur ne peuvent que se perdre. En personne, il se met à exister aussi sur notre terre, et son sort n’est pas meilleur que le nôtre, car, loin de jouir d’un régime de faveur, il partage totalement notre condition, la faim, la fatigue, les inimitiés, la peur de mourir, une mort misérable.

Que l’infini de Dieu ait ainsi assumé l’étroitesse de notre condition humaine, que la béatitude ait assumé la tristesse mortelle de notre terre, que la Vie ait assumé la mort, voilà bien la vérité la plus invraisemblable.
Mais c’est elle, cette lumière obscure de la foi, et elle seule, qui donne à nos nuits quelque clarté, c’est elle seule qui en fait de saintes nuits.

Dieu est venu, il est là. Et désormais tout est différent de nos estimations. D’écoulement sans fin qu’il était jusqu’alors, le temps devient un événement qui imprime silencieusement à toutes choses un mouvement dont la direction est unique, et le terme parfaitement déterminé. Nous sommes appelés, et le monde avec nous, à contempler dans tout son éclat la face même de Dieu. Proclamer que c’est Noël, c’est dire équivalemment que, par son Verbe fait chair, Dieu a dit son dernier mot, le plus profond et le plus beau de tous, qu’il l’a inséré au cœur du monde, et que jamais il ne pourra le reprendre, parce qu’il est une action décisive de Dieu, parce qu’il est Dieu lui-même dans le monde. Et ce mot n’est autre que celui-ci : O monde, je t’aime ! O homme, je t’aime !
Un tel mot de la part de Dieu, est-ce possible ? Quelle suprême invraisemblance ! Comment oser le dire, quand on connaît – et Dieu les connaît tellement mieux que nous – le monde et l’homme, toute leur horreur et toute leur inanité ! Pourtant, ce mot, Dieu l’a prononcé en se faisant lui-même créature, en naissant comme l’une d’elles ; et cette parole d’amour fait chair signifie qu’entre Dieu éternel et nous-mêmes doit s’établir une communauté de personnes dont l’intimité est celle d’un face-à-face et d’un cœur à cœur, une communauté de personne dont l’existence est déjà un fait.

Extrait de :
Karl Rahner, Méditation de Noël, L’homme au miroir de l’année chrétienne, Mame, 1966, p.28-31.

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