Dans un monde sécularisé (Patriarche Athenagoras)

Quelle est la valeur aujourd’hui de la prière en plein monde sécularisé ?

 
athenagoras-PTCe texte du Patriarche Athenagoras répond à la question qui lui fut posée à la seconde réunion oecuménique internationale des jeunes à Taizé (1967) : “Quelle est la valeur aujourd’hui de la prière pour des jeunes chrétiens vivant en plein monde sécularisé ; comment réaliser concrètement cette prière ?”
 

Il nous semble souvent qu’il est difficile de coordonner la vie et la prière.

C’est une erreur, c’est une erreur  absolue.  Elle vient de ce que nous avons une idée fausse de la vie comme de la prière.  Nous pensons que la vie consiste à s’agiter, et que la prière consiste à se retirer quelque part et à oublier tout, de notre prochain et de notre situation humaine.  C’est faux, c’est une calomnie de la vie, et c’est une calomnie de la prière elle-même.

Si nous voulons apprendre à prier, il faut d’abord nous faire solidaire de toute la réalité totale de l’homme, de sa destinée et du monde entier, l’assumer totalement.  Et c’est là l’acte essentiel que Dieu a accompli dans l’Incarnation.  Ordinairement, quand nous pensons à l’intercession, nous pensons qu’elle consiste à rappeler poliment à Dieu ce qu’il a oublié de faire.  En réalité, l’intercession consiste à faire un pas qui nous porte au cœur  d’une situation tragique, et un pas qui ait la même qualité que le pas du Christ qui est devenu homme une fois pour toutes.

Nous devons faire un pas qui nous porte au cœur d’une situation dont plus jamais nous ne voudrons sortir ; Une solidarité chrétienne, christique, qui est simultanément orientée aux deux pôles opposés.

Le Christ incarné, vrai homme et vrai Dieu, est totalement solidaire de l’homme et de son péché lorsqu’il se tourne vers Dieu, totalement solidaire de Dieu lorsqu’il se tourne vers l’homme.  C’est cette double solidarité, qui nous fait en un sens étranger aux deux camps et, en même temps, uni aux deux camps, qui est notre situation chrétienne de base.
Maintenant, vous me direz : que faire ? Eh bien, la prière naît de deux sources : ou bien c’est l’émerveillement que nous avons par rapport à Dieu et aux choses de Dieu (notre prochain, ou le monde qui nous entoure, malgré ses ombres), ou bien c’est le sens du tragique, le nôtre et celui des autres surtout.  Berdiaeff disait : « Si j’ai faim, c’est un fait physique ; si mon voisin a faim, c’est un fait moral »    Eh bien, voilà  le tragique tel qu’il nous apparaît à chaque instant car mon voisin a toujours faim. Il n’a pas toujours faim de pain ; il a quelquefois. faim d’un geste d’humanité, d’un regard charitable.  C’est là que commence la prière, dans cette sensibilisation à la merveille et à la tragédie.  Lorsqu’elle subsiste, tout est facile :  dans l’émerveillement, nous prions facilement, comme nous prions facilement lorsque le sens de la tragédie nous empoigne.

Mais autrement ? Autrement, c’est la vie et la prière qui doivent faire un.

Et je n’ai pas le temps d’en dire beaucoup, mais je voudrais simplement dire ceci : levez-vous le matin, placez-vous devant Dieu et dites : Seigneur, bénis-moi et bénis cette journée qui commence.  Et ensuite, traitez toute cette journée comme un don de Dieu, et considérez-vous vous-même comme l’envoyé de Dieu dans cet inconnu qu’est la journée nouvelle.  Cela veut dire simplement quelque chose de très difficile : que rien de  ce qui aura lieu dans cette journée n’est étranger à la volonté de Dieu : tout, sans exception, est une situation dans laquelle Dieu vous aura placé pour que vous soyez sa présence, sa charité, sa compassion, son intelligence créatrice, son courage, etc.  Et, d’autre part, chaque fois que vous rencontrerez une situation, vous êtes celui que Dieu y a placé pour faire office de chrétien, pour être une parcelle du corps du Christ, une action de Dieu.

Si vous faites cela, vous verrez facilement que, à chaque instant, vous aurez à vous tourner vers Dieu et dire : «  Seigneur, éclaire mon intelligence, renforce et dirige ma volonté, donne-moi un cœur  de feu, aide-moi ».  A d’autres moments, vous pourrez dire :  « Seigneur, merci ! » Et si vous êtes sage et si vous savez remercier, vous éviterez la sottise que l’on appelle la vanité ou l’orgueil, qui consiste à s’imaginer que l’on a fait quelque chose que l’on ne pouvait pas faire.  C’est Dieu qui l’a faite, c’est Dieu qui nous fait ce cadeau merveilleux de nous donner cela à faire.

Quand le soir, vous vous représenterez devant Dieu, et que vous ferez un examen rapide de la journée, vous pourrez chanter ses louanges, le glorifier, le remercier, pleurer sur d’autres, et pleurer sur VOUS.

Si vous commencez à unir la vie de cette façon à votre prière, elles ne se sépareront jamais.  Et la vie sera comme un combustible qui, à chaque instant, nourrira un feu, qui deviendra de plus en plus riche, de plus en plus brûlant, et qui vous transformera vous-même peu à peu en ce buisson ardent dont parle l’Ecriture Sainte.

(Aujourd’hui, bulletin trimestriel de la communauté de Taizé, octobre 1967, cité dans Documentation Catholique)

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11 commentaires

  • Stéphane Bortoli

    Bonjour,
    le patriarche (et non évêque) Athénagoras n’a jamais été “exarque du Patriarcat de Moscou” !
    Amitiés œcuméniques,

  • C. COULOMBIER

    Merci beaucoup pour ce beau texte qui m’a permis de reprendre conscience que Vie et Prière ne font qu’un.
    Ce texte me bouscule : Etre présence de Dieu, là où je vis; être une parcelle du corps du Christ dans la situation qui est la mienne aujourd’hui….
    Je fais confiance à l’Esprit du Seigneur qui m’accompagne. Sans Lui, c’est impossible . J’apprends à ne pas compter sur mes propres forces.

  • isabelle

    merci beaucoup de la proposition de ce texte.
    Il m’éclaire, je m’émerveille sur la nature belle et vivante, les arbres et leurs feuilles, le sourire d’un enfant, un mot plein de tendresse…
    mais j’avoue, je n’ose pas demander…
    je le remercie sans cesse, mais ne sais pas lui parler comme il le faudrait…
    merci de ce beau texte qui m’invite à prier autrement, à savoir parler à Jésus comme à un ami, à savoir l’accueillir dans ma vie, dans mon coeur, que ce soit Lui qui travaille en moi, car sans Lui je ne suis rien…Lui qui est le véritable et unique Amour !!

  • jeanine

    Mon message est parti avant que je remercie NDWeb pour ce texte superbe dans sa vérité. qui est tellement important pour nous tous

  • jeanine

    Combien je suis heureuse ô mon Seigneur quand la prière est sujet d’actualité.

    Dans le ferment de la souffrance , des épreuves,, mais aussi dans le bonheur la prière est l’ oxigène vitale que j’aspire a chaque instant de ma vie elle est présente, soit par la louange et l’action de grâce, ou bien dans l’oraison chère a mon âme.

  • Marie-Nicole

    Merci pour ce très beau texte et ces prières simples qui nous mettent en présence de Dieu tout au long de la journée

  • Pierre Luvefu Mokawa Makala

    En méditant sur ce texte, mes pensées se sont dirigées vers la “Communauté Famille Chrétienne” dans laquelle je navigue depuis 18 ans.
    Il y a quelques années, nous avions le “slogan” “Famille Chrétienne,communauté de vie et de prière”.Actuellement, nous parlons de ” Communauté de priere et de vie”.
    En méditant sur ce texte,sur les enseignements de la Communauté, sur “l’esprit Famille Chrétienne”, sur les témoignages des membres de notre Communauté et mon expérience en son sein, je considère la “Communauté Famille Chrétienne comme une communauté de vie en prière”.
    En effet,la pratique de la “spiritualité ” de la Communauté Famille Chrétienne de vie en prière nous permet de matriser le lion rougissant qui cherche à destabiliser nos couples et nos familles: elle nous permet de maintenir (tant soit peu) l’harmonie de nos couples et familles, de maitriser la jalousie, les déceptions, les incompréhensions, l’intolérance, l’infidélité et j’en passe…
    Sans cet “esprit Famille Chrétienne ” de la vie en prière au sein de notre Communauté, plusieurs de nos couples n’existeraient plus,………
    Je propose qu’on change de nouveau le slogan:” Communauté Famille Chrétienne: communauté de vie en priere”
    Berger Luvefu,Kinshasa, RDCongo

  • OLIVIER Rémy

    Lorsque je suis face à l’autre, lorsque je me trouve bien impuissant ou pauvre en moyens pour le rejoindre, je prie intérieurement. Par la puissance de son Souffle, Dieu change notre regard et nous montre un chemin de vie, Sa Vie, là où nous nous perdions dans le gouffre de la séparation, de l’incommunicabilité et du brouillard.
    Oh merci de m’avoir ouvert encore plus grand les yeux sur toutes les significations et conséquences, pour moi aussi, de ce chemin d’Emmaüs.

  • marguerite blain

    CE TEXTE VIENT CONFIRMER AUJOURD HUI CE QUE JE RESSENS PROFONDÉMENT LORSQUE JE RENCON-TRE MES FRÈRES ET SOEURS, DANS LEURS JOIES PEINES OU DÉTRESSES.JE NE SAIS REIN FAIRE D AUTRES SOUVENT QUE PRIER DANS MON COEUR ET PARTAGER EN ÉCOUTANT SINCÈREMENT. jE FERAI DORÉNAVANT PLUS ATTENTION À LA PRIÈRE AU FIL DU JOUR CAR LE FEU DONT PARLE Mg Athénagoras
    est au coeur de cette relation entre Dieu et chacun de nous.

  • Éphémère (Japon)

    Je ne sais comment vous remercier de ce texte, qui me touche et me “remue” profondément. Il répond justement à la question sourde qui me tenaient ces jours-ci “dans des eaux pas très claires”, que je remettais au Seigneur sans vouloir y répondre par moi-même, en Lui demandant de m’éclairer : comment intercéder, lorsque des personnes le demandent ? Comment leur être solidaire sans cesser de l’être pour “toute la réalité totale de l’homme, de sa destinée et du monde entier, (afin de) l’assumer totalement” ?
    Ce texte “me parle” et fait vibrer “des fibres” qui me sont chères… Je crois que nous touchons au Cœur de Jésus lorsque le tragique et le sublime de notre existence se laissent voir en même temps, nous plongeant au cœur même du Mystère de la Croix qui transfigure la vie…
    Me faire partie prenante des souffrances de l’autre en assumant totalement les miennes, les présentes et les futures quelles qu’elles soient dans le Cœur et le Corps Crucifié de Jésus est ma prière, celle qui porte à la fois “le long sanglot des exilés” et cette Espérance Folle qui affleure déjà pour nous porter à des jours meilleurs, dans l’Appel incessant de Celui qui fait lever la pâte de notre humanité.
    Merci de tout cœur, le Seigneur vous bénisse.

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