C'est moi qui gagne (Jacques Sommet, jésuite)

Jacques Sommet, sj (1912-2012) fut en captivité à Dachau.
Il y fait l’expérience de Dieu et de la liberté.

 

 

Une image est restée, très forte. Je me vois arrivant à Dachau après ce voyage de désolation. Les relations humaines ne sont encore établies. C’est le premier jour de la quarantaine. Un peu de soleil brille au pied d’un mirador ; en haut du mirador, cet homme casqué, à l’insigne de mort des SS, armé de sa mitraillette, qui est devant moi. Ce type a une peur absolue d’être envoyé en Russie, et il est prêt à tout pour y échapper. D’une certaine façon, j’ai envie de lui dure : « C’est moi qui gagne ! » L’univers de la destruction m’apparaît là dans sa violence et en même temps comme frappé d’une grande fragilité. Ce SS armé, bardé de cuir, cet ordre métallique, cette conscience falsifiée, enfin cette construction est une déconstruction. Tel que je suis là, il ne peut rien contre moi. Ils ont fait tout ce qu’ils ont pu, ils m’ont presque dépouillé de mon corps ; le reste, je le trouve intact. Je puis librement dire : « Je crois en Dieu. » Je puis librement dire : « Vive la vie ! » Tandis que lui, là-haut, est déjà détruit par sa déconstruction. Il peut abréger la vie de mon corps, mais n’importe comment elle finira, cela fait partie de ma vie humaine. Cet homme ne peut même plus me dire un mot. Il est isolé dans sa puissance, et moi je continue à penser ce que je suis et même un peu plus qu’avant.

Cette expérience est pour moi l’analogue de ce que j’essaie de décrire à longueur de vie comme l’expérience de la grâce, l’expérience du Dieu incompréhensible qui m’est donné. Je fais cette expérience, mais je suis éternellement en panne pour la décrire ! Cette expérience me suggère, je le dis humblement, le nada, de saint Jean de la Croix. En tous cas, elle fait que je le lis avec moins d’étonnement. Le Dieu « en toutes choses » de saint Ignace est du même ordre. Dieu, contraire du rien, plus immense, plus démesuré dans sa présence, est là.

Jacques Sommet, L’honneur de la liberté, Centurion, 1987, Paris, p. 123

7 commentaires

  • C’est dans de tels moments de desouvrement que Dieu apparaît le plus proche. Alors il y a comme un amour indicible qui approche l’âme des êtres spirituels d’une grâce divine qui les transforme en essences et les fait advenir en Dieu. Notre être tout entier n’est plus qu’un souvenir d’une humanité meurtrie. Cela donne tout son sens à la Résurrection du Christ.
    31/12/20

  • pratz

    que cet homme est profond , on sent qu’il est si proche de Dieu,il est poignant de voir combien l’homme, même asservi par l”homme , reste libre en lui même, merci au Seigneur de nous donner de tels exemples. cela nous affermi dans le foi.

  • bonjour j’y vois l’expérience de la liberté totale, ultime de l’homme face au mal absolu, total, qui fait souvenir des premiers martyrs faisant joyeusement don de leurs corps, Détruire le corps ne peut contrarier le plan de Dieu,Jésus a été détruit dans son corps,et sa résurrection prouve qu’aucun plan de déconstruction ne l’homme ne puisse aboutir sans son accord personnel,

  • Odile

    Seul le Christ peut donner une telle force à un être asservi, face à la lâche puissance de son bourreau…
    Oui, comme dit Ephémère, *Fontaine de grâces et Présence qui se donne* sont les maîtres mots de cette *expérience mystique* de notre grandeur d’enfants de Dieu !

    Merci pour ce témoignage fort de Jacques *SOMMET*… Nom prédestiné sans doute pour lui permettre d’atteindre les sommets de la foi et du libre arbitre…

  • BRUNEL odile

    Je cherchais à retrouver ce témoignage et je vous remercie de nous l’offrir. je reste avec ces mots
    de la fin :”Dieu, contraire du rien, plus immense, plus démesuré dans sa présence, est là”.
    Quelle expérience ?…
    Comment pourrai-je avoir ce texte pour encore
    le méditer?
    Merci

  • Éphémère

    Grâce qui surgit verticale au delà de la raison, fontaine d’Amour et de Joie qui jaillit du plus profond du cœur de l’homme plongé dans la plus grande détresse, grâce que ni la souffrance ni la mort ne peut entraver… Présence qui Se donne pour libérer le cœur du prisonnier au point qu’il ait pitié de son bourreau…
    Seul le Crucifié Ressuscité peut nous donner cela…
    C’est plus beau, plus vivant que tout. Merci Jésus.

    Merci pour ce texte puissant.

  • Picault Michèle et Jean-Pierre

    cet extrait m’a parlé et je vais tacher de me le procurer, cela me fait penser au prisonnier libre dans la prison que rien ne peut démolir car il porte une Espérance que personne ne peut lui ravir.
    merci

Répondre

  

  

  

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.