Extraits d’une conférence donnée par Eienne Grieu sj à Nevers le 26 octobre 2008
En lisant les évangiles, on a bien l’impression qu’autour de Jésus, se rassemblent ceux qui se reconnaissent en dette. Eh bien l’Eglise, c’est un rassemblement de ce type : le rassemblement de ceux qui savent qu’ils ne pourront jamais rembourser. Qui ont renoncé à faire valoir des choses qui pourraient leur donner de mériter à entrer. Non : nous n’avons rien à présenter à l’entrée de l’Eglise qui nous rendrait digne d’entrer.
Pour se reconnaître comme ça ensemble en dettes, ça demande quand même une sacrée confiance. Ce n’est pas si facile. Le réflexe spontané, face aux autres, c’est de mettre en avant ce que l’on a à faire valoir. C’est une vraie révolution que l’Evangile nous fait faire. En langage chrétien, on peut dire : une conversion. Celle d’oser se reconnaître en dettes.
Dès que l’on ose se reconnaître ainsi en dettes, on observe quelque chose de tout à fait étonnant : nous nous découvrons profondément unis les uns aux autres, bien plus que si nous avions fait valoir quelque chose que nous possédons ensemble et que nous pourrions faire valoir. En parlant d’un groupe de prière dans son quartier, une femme disait à quel point ça avait tissé des liens très forts, notamment parce que chacun avait pu partager ses soucis, ses angoisses, ses peines, et même ses défaillances (= ses dettes).
Ce qui nous unit le plus fortement, c’est de nous reconnaître ensemble en dettes. Pourquoi ? Parce que se reconnaître en dettes fait chuter tous les barbelés qu’on installe sans cesse autour de ce qu’on pense être notre coffre-fort. Souvent, quand on se rencontre sur le mode : « je te montre mon coffre-fort, et toi tu me montres le tien », il y a entre nous des barbelés. Alors que si l’on se rencontre en se disant : « tu sais, je suis en dettes ; mais grave ; je crois que je ne pourrai jamais rembourser » ; alors, il n’y a plus de barbelés entre nous, pour la bonne raison que nous savons que le coffre-fort est vide. Et se rencontrer sans barbelés, c’est quand même mieux non ?
C’est pour cela que reconnaître ensemble que nous sommes en dettes, est un merveilleux moyen pour nous rencontrer. Et quand en plus, Jésus est là, lui qui pourrait représenter notre grand créancier, mais qui au lieu de cela, se contente de nous donner par-dessus le marché, alors, c’est extraordinaire. Parce qu’on peut se reconnaître libre, et mon frère endetté, de même.
Donc c’était simplement pour répondre à la question « qu’est-ce qui nous tient unis dans l’Eglise ? » Et vous voyez que chemin faisant, nous sommes bien arrivés à ce qui forme le cœur de notre foi. J’ai prononcé les mots de « salut » et de « conversion ».
I) L’Eglise est conduite vers ceux qui ont faim et soif de justice
C’est cela, finalement, qui nous conduit vers les plus fragiles : avec eux, nous partageons le fait de savoir que nous sommes en dettes.
Entre gens endettés, ça crée une familiarité : on a ça en commun, le fait d’être en dettes. Et ce n’est pas rien : ça crée des liens extrêmement forts. Voilà ce qui fait qu’au cours de son histoire, l’Eglise a toujours eu cette tendance à rejoindre les plus démunis. Et cela, non pas en les regardant de haut. Mais parce que nous partageons une même condition, celle d’êtres en dettes.
Je crois que c’est cela, qui fondamentalement, établit entre les plus pauvres et l’Eglise, ce lien privilégié.
Ce n’est pas d’abord de l’ordre de la morale (du fait de se sentir obligé, à cause de tel ou de tel commandement).
Ce n’est pas de l’ordre de la mauvaise conscience (le fait de savoir qu’on n’a pas fait ce qu’on aurait dû).
Ce n’est pas d’abord non plus pour des raisons émotionnelles.
Ce n’est pas non plus une histoire de mettre en pratique l’évangile, ou de l’appliquer.
Non : tout cela est important, mais ça ne donne pas le secret de cette complicité entre l’Eglise et les pauvres. Ce secret réside, je crois dans l’acceptation d’être en dettes ; et de reconnaître cela comme une bonne nouvelle, une nouvelle qui remplit de joie.
Le problème dans l’Eglise, comme dans tout groupe humain, c’est que très vite, on reprend ses réflexes de défense et de comparaison. C’est plus fort que nous. S’il suffisait de décider de ne plus jouer les messieurs muscles ou les dames forteresses, la vie serait plus simple. Mais on est accro à la comparaison et à la rivalité. C’est notre bouteille. Notre addiction.
Alors, nous avons besoin de frères, de sœurs, qui d’une certaine manière, n’ont pas peur de se reconnaître en dettes, parce que à chaque minute de leur vie, il y a des gens pour le leur rappeler. Ce sont les plus fragiles, ceux qui justement, savent que le coffre-fort est vide ; parce qu’on ne cesse de le leur redire chaque jour. Eux, ils le savent. Ils se sont fait une raison. Ils savent qu’avoir le coffre-fort vide, ce n’est pas la fin du monde. Alors que pour tous ceux qui prétendent valoir quelque chose, c’est la panique. Pire que sur les places boursières.
Dans l’Eglise, nous avons besoin de frères et de sœurs qui savent qu’ils sont en dettes et qui n’en font pas un fromage. Avec eux, on peut laisser tomber les masques : face à eux, on sait bien que ça ne marche pas. On peut tout de suite aller à l’essentiel, aller à ce qui nous unit au plus profond : les dettes que nous avons, et la joie qui vient quand on accepte de recevoir la vie, de ne pas en être la source et de ne pas pouvoir rembourser, et que ce n’est pas cela qui intéresse Dieu, mais bien de nous retrouver, tels que nous sommes, dettes comprises.
Cette liberté se découvre peu à peu, au fil de la relation. Celle-ci, bien entendu, pourra passer par des crises, des conflits, des incompréhensions. Mais toujours, nous revenons à l’essentiel : la dette que nous avons en commun, et derrière cela, la confiance qui nous est faite, la liberté qui nous est donnée. Et nous pressentons que la vraie vie est de ce côté-là.
II) Un vaisseau-pilote pour l’Eglise
Ces frères et sœurs en dettes, ils sont pour nous comme un bateau-pilote. Pour entrer dans un port, il y a un chenal. Et quand on est un gros bateau, il vaut mieux suivre le chenal, sans quoi on risque de toucher le fond et de s’échouer. C’est pour cela qu’on fait appel à un bateau-pilote. Il se place à l’avant du gros bateau, et il lui indique le chemin, parce que lui, il connaît très bien le terrain, il en est tout à fait familier. Les plus fragiles, pour nos communautés, ce sont comme ces bateaux-pilotes. Ils savent reconnaître là où il y a du fond, parce que, tout à fait conscients d’être pleins de dettes, ils savent que la vraie vie n’est pas du côté d’un coffre-fort à protéger, mais du côté des portes qui s’ouvrent.
Quand nous faisons cela, évidemment, nous regardons les plus pauvres comme des personnes. Et mieux, comme des frères, des sœurs, qui sont familiers du chemin de la vraie vie, et qui peuvent facilement m’y conduire. Dans ces moments-là, il ne nous vient même pas à l’idée de nous croire supérieurs, de nous croire au-dessus. Nous savons que nous sommes tous en dettes, et que certains en ont plus conscience que d’autres, et sont donc plus libres que nous par rapport aux réflexes de survie, aux réflexes de type coffre-fort.
On pourra dire : est-ce que vous n’idéalisez pas les plus pauvres ? Est-ce qu’ils n’ont pas besoin de nous ? Est-ce que nous n’avons pas nous aussi quelque chose à leur apporter ?
Oui, mais pas n’importe quoi.
Je m’explique : Il se pourrait que les plus pauvres soient menacés d’abord par le désespoir. Ce désespoir vient quand on ne voit plus aucune issue dans sa vie, quand c’est bouché de partout, et quand on se sent totalement inutile au monde. Ce désespoir vient quand triomphe l’idée que la vérité de ce que nous sommes est écrite par tout ce que nous pouvons aligner comme capacités, comme valeur, comme qualités remarquables, etc. Et alors, nous oublions complètement que nous sommes en dettes, et que la vraie vie vient de la reconnaissance de cette condition commune d’êtres en dettes. Ce désespoir pousse les pauvres vers la mort. Sa victoire, c’est leur mort, leur élimination.
Alors oui, les plus pauvres ont besoin de nous. Mais pas d’abord à cause de nos qualités, de nos capacités, de tout ce que nous pouvons faire valoir. Ils ont besoin avant tout de frères, de sœurs, qui les rejoignent là où ils sont et acceptent de reconnaître avec eux cette condition commune d’êtres en dettes. C’est peut-être cela que nous pouvons d’abord leur apporter, et que, eux aussi, peuvent nous apporter.
Etienne Grieu sj
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Je n’ai aucun mal à reconnaître que je suis endettée envers Jésus qui a donné sa vie pour moi, endettée envers l’Esprit-Saint qui agit en moi pour m’éclairer, endettée envers Dieu qui me couvre de bienfaits.
Lâcher notre ego dans le silence qui écoute le cœur de l’autre et notre propre cœur est émuler notre seigneur car au cœur de chaque être pulse le verbe éternel. Amen
Ces paroles me remplissent de vraie joie: enfin s’ouvrir ensemble pour recevoir la Vie en abondance, et offrir ensemble ce que nous recevons les uns des autres.
MERCI
merci pour cet enseignement qui me rappelle que tous, en vérité, nous avons des pauvretés, des fragilités, nous sommes tous pécheurs ! Personne n’est supérieur à ses frères ou ses sœurs ! Heureux sommes-nous de le reconnaitre humblement !
je suis d’accord avec Fanny et Mme Ginette Neveu qui ont écrit ci-dessus. J’ai eu beaucoup de mal moi aussi à lire le texte et à le comprendre. En le lisant, je l’ai trouvé plus que moralisateur voire même culpabilisant. Je ne pense pas que tous ceux qui se retrouvent à l’église ou autour de Jésus ou Marie soient en dettes de quelque chose en permanence. Si pour aller à l’Église il faut de facto être redevable de quelque chose, on n’avancera pas. Tout le monde a quelque chose qui ne va pas c’est sûr mais de là à être constamment en dettes. Non. faut avancer.
Personnellement je donne tellement physiquement, moralement, et financièrement envers les pauvres, les humbles etc. qu’au final je me fais “jeter” des paroisses car c’est trop ; et je GENE. Je GENE ceux et celles qui peut être n’y arrivent pas. et qui n’arrivent pas à quoi ? mystère
merci Mme Fanny et Mme Neveu de vos paroles réconfortantes et qui rejoignent les miennes.
Bonjour Cécile,
Il n’est pas forcément question d’argent, y compris dans la quête ou zaket, ce n’est pas forcément de l’argent, mais apporter des bienfaits, de la présence, de la reconnaissance à son prochain comme égal à soi même pêcheur, car on a tous hérité du pêcher originel, qu’elle que soit notre religion. Même les hindou et les bouddhistes purifient leur karma, ce qui revient au même que de rendre des actions de grâce pour le sacrifice de la croix de Jésus. Qu’à celui où celle qui n’a jamais péché par action ou par omission par désir, aversion, orgueil, jalousie, haine, attachement, passion, addiction, indifférence ou je ne sais quoi, reçoive toutes les bénédictions possibles instantanément. Comme c’est impossible surtout subtilement en réaction juste refoulée. On reste pauvre de cœur et pêcheurs pardonnable par Amour du Père qui nous a donné le libre arbitre.
Ensuite, trop en faire, trop donner, ma foi ça peut réveiller des jalousie ou juste empêcher d’autres de donner ou faire à vos côtés allez savoir. Trop s’imposer peut être un subtil pêcher d’orgueil. C’est entre chacun et Dieu ou le nom que vous donner à ce qui est et crée toute chose. Amen.
Que toutes et tous soient bénis et emploi de l’esprit saint. Amen. Alléluia.
j’ai du mal avec le texte de cette conférence que je relirai plus tard. Pas besoin de cela en ce moment, surtout pas, il m’enfonce.
seigneur, la seule chose que jepuisse faire c’est t’en demander l’entendement précis, et pourquoi il me file le moral à zéro, quoique j’entrevois la solution.
mais n’est ce pas très catho tout cela ?? mon mari est musulman (laic et éclairé, pas le genre à se faire sauter avec une ceinture piégée), mes amis sont protestants et juifs… eux n’ont aucun problème avec l’argent et l’abondance, la prospérité et le partage. Mon mari pratique le zaket toute les semaines parce que il est un homme généreux et humain. Mes défaillances je les remets au Seigneur qui fait avec et m’aide à voir clair… merci quand même
Bonjour Madame,
je viens de lire le texte qui nous est proposé et de lire également votre réponse. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Ce texte est délicat à lire et à moi aussi il a laissé un sentiment de culpabilisation alors que je fais tant autour de moi. et je ne pense pas que pour aider ceux qui sont dans la dette ou le besoin il faille tant les accabler.
Je vous remercie de votre beau message qui m’a remis du baume au cœur.
Cécile
Ce texte me conforte de m’être inscrite au prochain hiver solidaire de ma paroisse. Choix que j’ai fait avec beaucoup de freins que j’avais en moi !
je vous remercie il me semble que j’ai ressenti en lisant ce texte pourquoi j’étais heureuse de saluer tout à l’heure deux SDF (que je salue quand je les vois ,souvent assis sur une marche)