La spiritualité du vélo (Madeleine Delbrêl)

“Allez…” nous dites-vous à tous les tournants de l'Évangile. Pour être dans votre sens, il faut aller même quand notre paresse nous supplie de demeurer. Vous nous avez choisis pour être dans un équilibre étrange. Un équilibre qui ne peut s'établir et tenir que dans un mouvement, que dans un élan. Un peu comme un vélo qui ne tient pas debout sans rouler, un vélo qui reste penché contre un mur tant qu'on ne l'a pas enfourché, pour le faire filer bon train sur la route. La condition qui nous est donnée c'est une insécurité universelle, vertigineuse. Dès que nous nous prenons à regarder notre vie penche se dérobe. Nous ne pouvons tenir debout que pour marcher, que pour foncer dans un élan de charité. Tous les saints qui nous sont donnés pour modèles, ou beaucoup, étaient sous le régime des Assurances – une espèce de Sécurité spirituelle qui les garantissait contre les risques, les maladies, qui prenait même en charge leurs enfantements spirituels. Ils avaient des temps de prière officiels, des méthodes pour faire pénitence, tout un code de conseils et de défense. Mais pour nous, c'est dans un libéralisme un peu fou que joue l'aventure de votre grâce. Vous vous refusez à nous fournir une carte routière. Notre cheminement se fait de nuit. Chaque acte à faire à tour de rôle s'illumine comme des relais de signaux. Souvent la seule chose garantie c'est cette fatigue régulière du même travail chaque jour à faire, du même ménage à recommencer, des mêmes défauts à corriger, des mêmes bêtises à ne pas faire. Mais en dehors de cette garantie, tout le reste est laissé à votre fantaisie qui s'en donne à l'aise avec nous. Madeleine Delbrel dans ALCIDE p. 69

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